Le 12 août 2011

Comité permanent des finances
À l’attention de Guyanne L. Desforges, greffière
131, rue Queen, pièce 6-14
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)
K1A 0A6

Madame, Monsieur,

Veuillez trouver ci-jointe une présentation à l’intention du Comité permanent des finances en réponse à l’invitation aux Canadiens de présenter leurs priorités en vue du budget fédéral de 2012.

Cardus est groupe de réflexion sur la politique publique nord-américaine qui informe les agents du changement des meilleures théories et pratiques de la vie publique afin de renouveler l’architecture sociale nord-américaine. Nous sommes actuellement à préparer un document de recherche additionnel exhaustif sur le déclin du « noyau civique » au Canada.

Il nous fera plaisir de faire un exposé en personne au Comité qui nous permettra de débattre de ces questions importantes plus à fond.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Ray Pennings

Agrégé supérieur/directeur de la recherche, Cardus
Rpennings@cardus.ca/ (403) 4590



PRÉSENTATION DANS LE CADRE DE LA CONSULTATION PRÉBUDGÉTAIRE FÉDÉRALE
RAY PENNINGS, DIRECTEUR DE LA RECHERCHE



SOMMAIRE

Le déclin des dons de bienfaisance ces dernières années est l’une des conséquences des difficultés économiques à court terme avec lesquelles le pays est aux prises. Il ne faudrait toutefois pas oublier la tendance à long terme selon laquelle un petit nombre de Canadiens fournissent la majorité des dons, du bénévolat et de l’engagement social sur lesquels est fondée notre infrastructure sociale. Les enjeux vitaux dans ce domaine sont nombreux et nécessitent un soutien stratégique intelligent, une question très urgente vu les tendances en matière de démographie, d’immigration et d’urbanisation qui nous interpellent. Dans un contexte où les gouvernements examinent les limites de leur propre capacité à traiter les questions sociales, le maintien d’un secteur sans but lucratif fort est important pour maintenir une norme de prospérité et de durabilité au profit de tous les Canadiens.

Bien que des changements structurels à portée plus large soient urgents, il importe de soutenir immédiatement les organismes de bienfaisance qui permettent de rester en mesure de répondre à la demande immédiate de leurs services. Nous recommandons la mise en place de crédits d’impôt additionnels qui profiteront principalement au noyau civique de Canadiens qui fournissent une part grandement disproportionnée des ressources au secteur des organismes de bienfaisance, reconnaissant que les personnes qui font déjà des dons sont les plus susceptibles de répondre aux besoins à court terme de ce secteur.

Nous recommandons ce qui suit :

  1. Que compte tenu des difficultés immédiates que rencontrent les organismes de bienfaisance canadiens, une nouvelle catégorie soit ajoutée au crédit d’impôt pour les organismes de bienfaisance de façon à octroyer un crédit d’impôt de 37 % pour les dons d’un contribuable de plus de 450 $ par année;
  2. Que des mesures prises pour entamer un débat national relativement aux règles et au cadre dans lequel le secteur sans but lucratif fonctionne dans notre société, de sorte que des changements structurels puissent être mis en oeuvre pour permettre à ce secteur de poursuivre son importante contribution à notre tissu social;
  3. Qu’une clause d’extinction de cinq ans soit prévue pour la nouvelle catégorie fiscale afin de mettre en évidence l’urgence de la mise en oeuvre d’une solution stratégique à long terme

JUSTIFICATION

  • Le soutien au secteur de bienfaisance a diminué au cours des dernières années.

L’importante contribution du secteur de bienfaisance au Canada se passe d’explication ou de défense. Dans ses recommandations au ministre des Finances en prévision du budget de 2010, ce Comité a entendu beaucoup d’exposés et diverses propositions relativement aux besoins de ce secteur. Le Comité a noté dans son rapport ce qui suit :

Le Comité estime que les bénévoles et les organismes sans but lucratif du pays sont extrêmement utiles pour les personnes qui ont besoin d'aide et celles qui cherchent à appuyer leurs collectivités. Il sait que le concours des organismes caritatifs est particulièrement précieux en temps de crise et est d'avis que le gouvernement fédéral peut intervenir pour encourager les dons à des œuvres de bienfaisance et pour appuyer ces dernières. Selon le Comité, cet appui est nécessaire pour que les organismes caritatifs et les bénévoles soient bien positionnés en vue du rôle qu'ils peuvent jouer dans la société et la contribution qu'ils peuvent y apporter[1].

Dans son propre rapport sur les dépenses fiscales, le gouvernement souligne que cette mesure fait partie de ses engagements stratégiques actuels. « Cette mesure a pour but d'appuyer l'œuvre importante du secteur des organismes de bienfaisance, qui répond aux besoins des Canadiens. (Rapport de la Commission royale d'enquête sur la fiscalité, vol. 3, 1966; Réforme fiscale de 1987) »[2]. Toutefois ces mêmes rapports sur les dépenses fiscales font état du déclin important de ce soutien qui a accompagné la récente crise économique. Dans le rapport de 2007, les dépenses fiscales prévues pour les dons de bienfaisance en 2006 étaient de 2,38 milliards de dollars et pour 2009, de 2,64 milliards de dollars. D’après le rapport de 2010, les dépenses réelles pour 2006 étaient de 2,325 milliards de dollars (relativement près de la prévision initiale), mais la prévision pour 2009 avait été réduite à 2,105 milliards de dollars. La réduction des dons de bienfaisance de la part des Canadiens a entraîné une réduction de presque 500 millions de dollars en dépenses fiscales pour le gouvernement fédéral. Ce bénéfice pour le Trésor fédéral est annulé par une réduction de presque un milliard de dollars dans la capacité de ce secteur, à un moment où la demande de services de bienfaisance augmente. Les cadeaux de bienfaisance ont été à la baisse pour passer de 8,65 milliards de dollars en 2007 à 7,75 milliards de dollars en 2009[3].

Dans le contexte des budgets gouvernementaux, l’importance de ces chiffres s’oublie facilement. C’est la capacité des organismes de charité, qui s’efforcent d’alléger la pauvreté, d’aider à éduquer les enfants, d’offrir des programmes aux aînés, d’aider les immigrants à s’installer et d’offrir des bénéfices semblables, que les Canadiens tiennent pour acquis, qui sont en jeu. Bien au-delà des dons que reçoivent ces organismes de bienfaisance communautaires, il convient de mentionner les contributions en bénévolat et en nature et les soins donnés de bonne foi et de façon humanitaire aux voisins que cet effort représente. Il est évident que ces organismes ont un rôle vital à jouer relativement aux frontières futures du Canada, puisque les changements en matière d’immigration et de démographie, de même que l’urbanisation, représentent des défis bien documentés pour notre société et font augmenter la demande pour le genre de services que ces organismes fournissent.

  • La plupart du soutien provient d’un petit « noyau civique » de Canadiens

Au cours des 20 dernières années, une vaste recherche a été effectuée sur la santé de la société civile canadienne et sur le secteur de bienfaisance[4]. Les chercheurs ont découvert l’existence d’un petit « noyau civique » au Canada ‑ une minorité ce citoyens dévoués qui sont responsables de la grande majorité des dons de bienfaisance, du bénévolat et de l’engagement civique[5]. Les chercheurs ont analysé les données obtenues lors de l’Enquête nationale sur le don, le bénévolat et la participation (ENDRP) afin de définir la démographie des personnes qui participent aux activités de bienfaisance, civiques et bénévoles. Leurs constatations sont surprenantes. En 2000 au Canada, 18 % des adultes étaient responsables de 80 % de toutes les sommes données aux organismes de bienfaisance. Six pour cent des adultes étaient responsables d’un dollar de don sur trois. Quatre-vingt pour cent des heures de bénévolat ont été données par 9 % de la population. Un adulte sur cinq représente près des deux tiers de toute la participation civique. Ce modèle reste inchangé au cours des années récentes[6].

La grande majorité des Canadiens ont donné très peu ou rien du tout au cours de l’année. Une petite fraction de la population, 10 %, est responsable de la part du lion des dons, près des deux tiers, aux organismes de bienfaisance. Dans le groupe de ceux qui ont choisi de faire un ou plusieurs dons de bienfaisance en 2007, la moitié des donateurs ont contribué moins de 120 $ durant l’année. Parmi les personnes dont le revenu est de plus de 100 000 $, le montant moyen donné sur une période de 12 mois était de 210 $[7].

Il est surprenant de constater que le groupe de base des donneurs actifs, des bénévoles et des participants civiques est de petite taille par rapport à la proportion des contributions qu’ils font au bien-être civique général. Les chercheurs estiment que le noyau civique principal est constitué d’environ 7 % de la population. Vingt pour cent de la population de plus constituent un « noyau secondaire » moins engagé. Ils concluent qu’un peu plus du quart de la population représente près des trois quarts de tout l’engagement civique au Canada[8].

  • Cet état de chose a des répercussions à long terme qui méritent l’intervention d’une politique stratégique

Ni une initiative stratégique unique ni le gouvernement seul ne peut changer ces tendances qui se sont installées après plusieurs années d’évolution. Dans l’étude de Cardus, Culture of Generosity, publiée en 2009, nous avons fait 19 recommandations sur les mesures que les organismes de bienfaisance mêmes, les entreprises et les syndicats, les médias, les établissements d’enseignement et les philanthropes peuvent prendre pour traiter cette question. Cette année, Cardus prévoit de publier une étude de suivi qui analyse les effets de ces tendances sur dix facteurs de l’engagement des citoyens : le bénévolat, le don de bienfaisance officiel, la participation à un organisme civique ou communautaire, l’assistance aux services religieux, l’aide informelle, le don informel, le don de vêtements et de nourriture, le legs de biens, l’écoute et la lecture des nouvelles d’actualité et le vote. Il existe une étroite relation entre les tendances influençant ces facteurs et la possibilité que ces tendances se poursuivent sans intervention, ce qui met en grave danger une bonne partie de ce que nous tenons pour acquis comme « le mode de vie canadien ». Nous exhortons tous les intervenants, y compris le gouvernement fédéral, de s’engager dans un débat national sur l’avenir de ce secteur et la façon dont un cadre stratégique pourrait être établi pour lui permettra de prospérer.

  • Une catégorie supplémentaire de crédits d’impôt pour les donateurs actuels est la stratégie la plus vraisemblable pour apporter un soutien immédiat au secteur pendant qu’une stratégie à long terme est en voie d’être mise en oeuvre.

La nécessité d’un soutien accru à ce secteur a fait l’objet de diverses propositions au cours des derniers cycles budgétaires. Nous modifions nos propositions précédentes relativement à une augmentation des crédits d’impôt en reconnaissant que durant une période d’examen des dépenses gouvernementales, la capacité du Trésor fédéral de renoncer à des recettes fiscales additionnelles est limitée. Néanmoins, nous recommandons qu’une catégorie supplémentaire soit ajoutée aux crédits d’impôt pour oeuvres de bienfaisance de façon à octroyer un crédit d’impôt de 37 % pour les dons des contribuables dépassant 450 $ par année. Cela aura pour effet de faire augmenter les dépenses fiscales d’un montant estimé à 537 millions de dollars, les faisant passer de 2,15 milliards de dollars à 2,687 milliards de dollars. Étant donné qu’aussi récemment qu’en 2007, on prévoyait que les dépenses fiscales pour les organismes de bienfaisance s’élèveraient à 2,64 milliards de dollars, cette mesure est nécessaire pour simplement rétablir le niveau de soutien prévu, sans même tenir compte de la demande accrue que nos difficultés économiques imposeront à ce secteur.

Cette mesure ne tient pas compte du plus petit nombre de Canadiens qui font partie du noyau civique. Elle reconnaît plutôt qu’en réalité, même si des solutions à long terme à ce problème sont envisagées et mises en oeuvre, le secteur de bienfaisance nécessite un soutien continu pour être en mesure de répondre à ses besoins immédiats et que les personnes qui sont les plus susceptibles de répondre à ces besoins sont celles qui font déjà des dons. Ainsi, les contribuables civiquement responsables disposeront de ressources additionnelles qui seront très vraisemblablement réinvesties dans ce secteur. La recherche révèle que la petite proportion des donateurs desquels le don est planifié, récurent y d’un montant élevé sont très susceptibles de se prévaloir de cette mesure incitative[9].


[1] http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=4304866&File=303&Mode=1&Parl=40&Ses=2&Language=F

[2] http://www.fin.gc.ca/taxexp-depfisc/2010/taxexp1004-fra.asp

[3] Statistique Canada. Tableau 111-0001 - Dons de charité sommaire, annuel (nombre sauf indication contraire), CANSIM (base de données). http://www5.statcan.gc.ca/cansim/a05?id=1110001&pattern=table+111-0001&stByVal=1&paSer=&csid=&lang=fra.

[4] Parmi les grandes initiatives de recherche, mentionnons l’Enquête nationale sur le don, le bénévolat et la participation; plus de 50 études et analyses détaillées publiées par le Nonprofit Sector Knowledge Base Project de l’Université Carleton; et de la recherche supplémentaire qu’a fait Statistique Canada.

[5] Une description utile de la structure du noyau civique du canada est présenté dans le document « The Civic Core in Canada: Disproportionality in Charitable Giving, Volunteering, and Civic participation », Paul B. Reed et L. Jevin Selbee, Nonprofit and Voluntary Sector Quarterly, vol. 30, no 4, décembre 2001, pages 761-780.

[6] Ces mesures sont tirées de « The Civic Core in Canada: Disproportionality in Charitable Giving, Volunteering, and Civic participation. »

[7] Canadiens dévoués, Canadiens engagés : Points saillants de l’Enquête canadienne de 2007 sur le don, le bénévolat et la participation, Statistique Canada, ministre de l’Industrie, juin 2009, pages 19-20.

[8] « Patterns of Civic Participation and the Civic Core in Canada » Paul B. Reed et L. Keven Selbee, Nonprofit Sector Knowledge Base Project, novembre 2000.

[9] Paul B. Reed et L. Kevin Selbee, « The Social Dynamics of Contributory Behaviours:  A Synopsis of Key Findings and Implications from a Multi-Year National Study » (Ottawa : Statistique Canada et Université Carleton, 2006) p. 42